À la dérive des continents

«Ça va ? … silence

Je crois qu’il ne faut pas s’interdire de répondre que ça ne va pas. On se sent parfois balloté entre une injonction au bonheur impulsée par notre époque et l’effondrement de celle-ci. Répondre que ça ne va pas, c’est une manière ici de lutter, de ne pas se soumettre à un réel ou une norme que l’on croit immuable.

Je crois qu’aucune œuvre d’art ne sauvera le monde, car je crois que le monde n’a pas besoin d’être sauvé. Le monde a besoin d’être habité, d’être travaillé comme on travaille la terre, pour y jardiner des possibles. À la dérive des continents tape contre le sol pour faire résonner nos villes bitumes. Comme on le fait, l’air de rien quand on se réunit pour une fête.

Comme si face aux effondrements qui s’amoncellent, seule la fête, la vraie, la déraisonnable, celle qui nous lie, nous relie, celle qui meut nos corps et nos crânes… comme si cette fête était le seul moyen de quitter le silence pour répondre…

Oui, ça va.»

Note d’intention août 2023 Amélie Clément

Cette création a débuté son histoire en 2019 dans le cadre d’un Europe Creative, porté par le théâtre de La Renaissance. L’enjeu était le renouvellement, par l’art, des récits sur l’intégration et l’émancipation des personnes en situation migratoire. Après 18 mois de recherches, de collectes de paroles et de rencontres internationales, une première performance a vu le jour, Getting Unstuck.
Quelques temps plus tard, le sujet n’ayant rien perdu de sa controverse, nous avons eu envie de poursuivre ce travail d’écriture et de venir le confronter à l’espace public. Comme si, finalement, c’était dans la rue que cette histoire se déroulait et que c’est par elle qu’elle pourrait peut-être trouver un sens.

À la dérive des continents est une traversée à deux voix de femmes, l’une française, l’autre afghane, un musicien en live et une création vidéo sur toile de béton brut.
Sur scène, deux comédiennes et un musicien construisent une parole commune, entre mots et notes, pour mieux faire entendre ce qui nous lie au silence, à a sidération. Sous les slogans, statistiques et discours politiques, ils cherchent ici la rencontre. Ensemble, ils se jouent d’un réel trop lourd, trop grand, pour en déployer une soirée à portée de mains. De cette main qui se tend sans savoir si elle rencontrera avec corps et peau, pour faire corps à corps.
Forains d’un soir, ils malaxent plus de 80 ans d’images et de discours politiques sur les migrations pour s’enivrer, réactiver la pensée, pour envisager un demain sous une autre lumière, pour observer l’autre sous un nouvel angle.

COMMENT FAIRE DE NOS CONFRONTATIONS, DES LIEUX DU VIVRE ENSEMBLE ?

Mélangeant les langues, le français, l’anglais et le perse, ils amènent la parole aux frontières de la transe pour que le verbe soit musique. Cette parole libérée de tout apparats, se met à taper contre les murs, à résonner dans nos oreilles, met en mouvement nos organes qui tremblent sous la pression des basses et finir par envahir nos cœurs. Ce sont alors nos corps qui ondulent et la rumeur d’un possible envahit peu à peu nos rues et déforme nos villes pour panser les plaies d’un monde que nous sommes fatigués de regarder en face.
Une fête comme acte de résistance, une fête pour s’extraire de la sidération et passer à l’action, celle de nos corps qui se secouent pour se rencontrer.